Par Samuel BOUCHER
Au cours de la première partie de cette série d'articles, nous nous sommes intéressés au comportement reproducteur de notre animal. Ainsi, nous avons déjà pu remarquer que le cobaye émet des sons qui semblent avoir une signification particulière. Chaque éleveur sait. en effet, que le Cavia porcellus a un répertoire sonore extrêmement riche. Trois types de sons peuvent être très facilement identifiés : un son rauque et lent lors de la parade sexuelle, nous l'avons déjà signalé, un cri plus strident et répété, c'est celui que le cobaye émet quand vous arrivez prés des cages avec de la nourriture ou quand vous ouvrez le réfrigérateur si ses aliments s'y trouvent (ce qui est à déconseiller), et enfin une sorte de claquement des dents qui peut être entendu lorsque le cobaye a peur et menace.
Mais, réduire le répertoire sonore de ce rongeur à ces trois sons serait la preuve d'une observation fort peu attentive.
Le cobaye possède, en effet, une grande panoplie de sons qui semblent tous avoir une signification précise au point qu'il n'est pas ridicule de parler à son sujet d'une amorce de langage. C'est ce qu'une étude attentive prouve actuellement, rejetant les théories un peu simplistes que notre histoire, parfois regrettable, nous a léguées et qui prônaient la seule suprématie de l'Homme en ce domaine.
Afin de mieux le comprendre, nous parlerons donc des différents cris que le cobaye peut émettre et de leur signification.
Un son qui n'est pas un cri : le signal de menace
Le cobaye ne se sert pas uniquement de sa " voix " pour se Faire comprendre. Il peut en effet émettre une série de claquements de dents en entrechoquant ses incisives et. à un moindre degré, ses molaires. Pour cela, il effectue de petits mouvements rapides de la mandibule au rythme surprenant de quatorze mouvements par seconde et peut atteindre des pointes, notamment au début du mouvement, de vingt mouvements par seconde. A la Fin du signal, le rythme baisse à huit mouvements. Lors de ces émissions, le cobaye adopte une posture offensive que nous développerons plus loin. Car. en effet, le signal donné par ce claquement des dents est là pour prévenir un intrus (autre congénère, lapin, homme) des intentions de notre rongeur. Ce comportement a lieu dès le quatorzième jour à condition que le jeune ait pu l'observer chez les adultes. Il se manifeste donc dès que le jeune comprend qu'il devra subvenir seul à sa défense, sa mère commençant à lui donner de l'indépendance, et tous les juges devraient le savoir : ce signal est menaçant. Deux cas sont à considérer. Soit le cochon d'Inde émet ce son pour prévenir un congénère et ce signal est alors à la fois préventif et offensif: l'animal prévient qu'il est dérangé et qu'il n'a pas l'intention de se laisser faire. au besoin il va se battre. Soit ce signal s'adresse à un autre animal, homme compris, et reflète le courage dont fait preuve
l'animal pour surmonter sa peur devant l'intrus afin de se montrer le plus menaçant possible dans l'espoir de décourager son " adversaire " et de le voir partir. Ce claquement de dents s'observe en effet si l'animal se sent piègé et ne peut adopter un comportement de fuite naturelle devant un adversaire trop puissant pour lui.
C'est le cas pour les animaux que l'on expose et qui sont donc dérangés dans leurs habitudes. Mais, il ne faudrait pas que les lecteurs croient que le cobaye est un animal bagarreur. C'est au contraire un petit animal calme et placide - notamment les souches sélectionnées pour leur beauté. Elles sont, je l'ai maintes fois remarqué, plus calmes que les petits animaux longilignes que nous rencontrons chez les animaliers, dans les cabinets de vétérinaires, et qui se retrouvent dans un appartement ou dans un laboratoire. Les traitements qu'ils y subissent n'y sont sans doute pas étrangers. Pour ma part, j'ai rarement pu observer ce comportement de menace. Il est vrai que je ne cherche pas à le provoquer car il suffirait pour cela de regrouper quelques mâles. A côté de ce signal, existent de nombreux cris parfois surprenants par leur intensité.
De sérieuses études ont calculé la fréquence, la durée, les époques d'émission des différents sons émis par le cobaye. Je pense que ces données auraient peu d'intérêt dans un article de vulgarisation comme celui-ci et je vais donc simplifier - au risque de ne pas être toujours très scientifiquement rigoureux- et ne vous parler que de ce qui intéresse l'éleveur. comme le propriétaire d'animal familier, c'est-à-dire de la découverte et de l'interprétation des cris de vos animaux.
Tout d'abord, vous l'avez sûrement remarqué si vous avez détenu plusieurs cobayes ensemble, ces petites bêtes se rassurent et se préviennent mutuellement. Pour cela, on observe des séries de sons très brefs groupés par deux ou trois émis au rythme de cinq à huit secondes. C'est ce que les scientifiques nomment le " cri de cohésion ". On entend, en effet, ces sons lorsque l'animal s'éloigne du groupe pour explorer les alentours. Le jeune pousse très fréquemment ce cri durant sa période dite " infantile " dont nous reparlerons plus loin. On pense que le cobaye l'émet pour prévenir ses congénères, les renseigner sur sa position afin qu'en cas de besoin ils se retrouvent. Cela permet par exemple à la mère de rester en contact avec ses jeunes et je crois que les aviculteurs qui ont pu observer maintes fois ce comportement chez la poule suivie de poussins comprendront fort bien de quoi il s'agit. Le faible nombre de sons émis dans ces moments vise à ne pas " ameuter " les prédateurs tout en prévenant efficacement les congénères.
A côté du cri de cohésion, existe le cri de contact social qui apparaît dès le cinquième jour de vie. Ce cri ne peut être observé que si l'animal se sent en sécurité en présence d'autres congénères. On l'entend notamment avant une période de repos. Il peut d'ailleurs être modifié si l'animal est légèrement perturbé. Ce sera le cas dans les groupes de repos dérangés. Quoi qu'il advienne, ce cri est toujours dépourvu d'agressivité.
En revanche, s'il est fortement dérangé, le cobaye émet un cri dit de " dérangement ". Ce cri commence par une émission grave dont la fréquence augmente rapidement vers l'aigu avant de redescendre à sa valeur initiale. On entend alors de véritables trilles. Ces émissions vocales ont lieu lorsque le cobaye se sent véritablement perturbé et cela peut donc varier avec le caractère de chaque animal. En effet, pour une même situation, un cochon d'Inde émettra ce cri alors qu'un autre restera silencieux. Ainsi, un cochon d'Inde qui vient d'être dérangé et que l'on perturbe à nouveau peut se montrer plus ou moins tolérant vis-à-vis d'autrui et produire un cri qui normalement n'aurait pas lieu d'être. Là encore, les organisateurs d'exposition et les juges devraient apprendre à le reconnaître.
Par ailleurs, notre rongeur peut se sentir agressé et émettre un cri dit " de détresse ". Ce cri. long et désagréable, prend l'apparence d'un sifflement nasillard qui augmente vers les .aigus de manière inhabituelle. Il est exceptionnel de pouvoir l'entendre car l'animal ne l'émet que lorsqu'il est brutalement attaqué ou fortement mordu. En outre, pendant l'émission, on observe un comportement révélateur : l'animal trépigne sur place et contorsionne la tête avec une raideur et une lenteur caractéristiques. On peut aussi noter l'émission de trilles très pures et aiguës chez l'animal qui souffre à la suite d'une blessure mais il convient de bien le différencier des râles de l'animal agonisant.
A côté de ces cris, le cobaye peut faire entendre un son nasillard qui a un rythme plus court que le cri de contact social. C'est le cri de quête ou sifflement d'appel que tout éleveur connaît bien. Ce cri, extrêmement aigu, peut être déclenché chez l'adulte par un bruit familier tel le froissement d'un sac qui contient habituellement la nourriture, l'ouverture d'une porte, l'arrivée de l'éleveur dans l'élevage... Chez le jeune, ce cri exprime la perte de contact social lorsque l'animal s'éloigne de son groupe.
Aussi, pour émettre de tels sons, le cobaye adopte-t-il immanquablement une position bien particulière, tendant ses membres antérieurs et relevant légèrement la tête pour pointer son museau vers le haut. Il semble chercher à se repérer en captant le maximum d'informations sensorielles. La bouche (on ne parle de gueule pour des animaux comme le cochon d'Inde qui n'ont pas les lèvres très fendues) reste ouverte et on observe les côtes se soulever à chaque émission de son ce qui traduit un effort respiratoire conséquent. En général, l'animal se tourne vers l'être auquel ses cris s'adressent que ce soit un congénère ou le soigneur. Il avance même parfois dans leur direction.
Chez les très jeunes animaux encore avec leur mère. on observe deux cris particuliers, assez maladroits. Le premier est émis lorsque la femelle lèche son jeune. On entend d'abord une émission de basse fréquence (grave) qui est rapidement suivie par un son plus aigu ayant des pointes très hautes. Ce cri à une importance physiologique puisqu'on peut observer que le petit animal l'émet uniquement lorsque sa mère effectue un léchage de la région périnéale de son jeune et on admet qu'il favorise la miction et la défécation du petit qui reste en outre immobile et relaxé durant toute la durée du nettoyage. Par ailleurs, on peut entendre lors de la tétée une sorte de bourdonnement saccadé que le jeune cobaye émet lorsqu'il s'enfouit sous sa mère pour attraper une tétine. Ce cri peut " dégénérer " en cri sexuel dès la première semaine. Il semblerait donc qu'il faille voir dans ces cris l'émission de sons traduisant une certaine impatience face à un bien-être potentiel et immédiat comme on peut le rencontrer dans de nombreuses autres espèces de mammifères.
Enfin, il nous faut expliciter le cri sexuel dont j'ai déjà parlé dans ces articles. C'est en fait un bourdonnement saccadé de sonorité grave et, lorsqu'il est émis, on peut voir apparaître une vibration des flancs de l'animal. En général, c'est le mâle adulte qui l'émet lorsqu'il fait sa cour à une femelle. Mais il peut aussi le produire en présence d'un autre mâle qu'il juge comme un intrus. Ce cri est donc une façon d'affirmer sa supériorité et déclenche parfois un comportement agonistique avec d'éventuelles batailles. Pourtant, on remarque, et les éleveurs le savent bien. que lors de la distribution de friandises, le cobaye peut émettre ce cri. De là à admettre qu'il soit également un cri de satisfaction, il n'y a qu'un pas.
Pour terminer, je citerai le cri d'alerte au son qui a également une faible sonorité et que l'on peut déclencher en froissant un papier ou en entrechoquant des clefs, des pièces monnaies. Le cri est toujours déclenché par un bruit peu intense et plus ou moins aigu. Le cobaye serait-il mélomane ? le véritable scientifique se garderait bien de l'affirmer en ces termes et dirait plutôt qu'il est possible que l'oreille de Cavia porcellus soit sensible à une série de sons aux composantes physiques bien définies - tout comme la nôtre, d'ailleurs. ainsi, on peut observer le même type de réaction devant un lien à qui on fait écouter un genre musical précis et qui se et aussitôt à hurler à la mort alors qu'un type de musique diffèrent le laissera totalement insensible. Tomber dans le piège de l'anthropomorphisme est alors bien tentant. Voici donc décrypté le langage du cobaye domestique. Pourtant, les quelques lignes que vous venez de lire sont très incomplètes. En effet, nous nous sommes aperçus que le Cavia porcellus émettait bien les cris dont je viens de parler, et ce dans un but précis que j'ai essayé d'expliciter au vu de nos .connaissances actuelles, mais il est également capable de moduler de façon non négligeable tous les cris précités. Or. Les chercheurs n'ont pas encore trouvé de véritable explication scientifiquement prouvée pour expliquer ce phénomène. On pense, mais ce ne sont encore que des hypothèses, qu'ils reflètent l'état émotionnel de l'émetteur ou, et c'est la voie des recherches actuelles, qu'ils véhiculent une information plus fine et plus précise que celle que nous avons pu appréhender au cours des recherches passées. Le langage du cobaye serait-il complexe ? Les chercheurs du siècle dernier n'auraient même pas osé émettre une telle hypothèse et c'est peut-être la raison pour laquelle nos connaissances sur le comportement animal ne sont pas aussi étendues qu'on le voudrait aujourd'hui.
Pour être relativement complète, cette série doit encore évoquer le comportement du Cavia porcellus lorsqu'il est seul ou en groupe. C'est ce que se propose de faire la Revue Avicole dans les prochains mois.